« Notre navire s’enfonce toujours un peu plus dans l’océan glacial Arctique »

TEMOIGNAGE – L’apnéiste Laurent Marie raconte son voyage à bord de la navette conduite par le chasseur inuit Ingkasi. Une traversée glaciale, à travers un univers arctique grandiose mais implacable.

Nous quittons Itto avec Ingkasi et Evrard à bord d’une coque open de 6 à 7 m motorisée d’un 115 Suzuki. À bord, plus d’une tonne de matériel de toute sorte, nourriture, des gros tanks de 75 litres d’essence pour nos déplacements futurs, deux kayaks, etc. Nous glissons à vive allure sur la mer d’huile entre les montagnes et les nombreux icebergs de toutes formes. Au bout de trois heures de navigation, je commence à ressentir les premiers effets du froid malgré le soleil radieux. Nous arrivons dans Gäsefjord. Le vent se lève. Les moutons se dessinent sur l’horizon. « Je reçois les premiers embruns sur ma veste de quart, l’eau est gelée. Le vent s’intensifie, les clapots se durcissent et se resserrent. Ils laissent place à des lames bleue tranchantes. »

« TREMPÉS JUSQU’AUX OS »

« Notre navire, cette coque open plate basse sur l’eau n’est pas à son avantage dans ces conditions. Les premières vagues s’invitent à bord. Nous écopons…de plus en plus vite. Notre capitaine, le visage crispé, la tête collée à sa vitre, ne réduit pas son allure. Il force le passage mais n’arrive plus à déjauger. Il s’arrête. Je rejoins Evrard à l’avant. Nous repartons plein gaz, la coque tape sur le hachoir. Evrard s’explose le genoux. Ingkasi s’obstine, maintient son cap et son allure. Des paquets de mer entrent dans le bateau. De l’écope, nous passons au seau. »

Notre pilote Ingkasi dans Ø Fjord Notre pilote Ingkasi dans Ø Fjord

Nous tentons de protéger le matériel électronique. Certains sacs flottent déjà. Notre navire s’enfonce toujours un peu plus dans l’océan glacial Arctique. Nous sommes trempés jusqu’aux os et nous ne tiendrons pas longtemps. Nos combinaisons de plongées sont dans nos sacs : nous rejoignons en catastrophe le premier rivage pour prendre le temps de vider entièrement notre embarcation et reposer nos esprits. Nous hissons la coque en polyester sur une plage magnifique de galets ronds, des sternes survolent nos têtes en hurlant. C‘est beau, le contraste est saisissant face à cette situation critique.

LE REFUGE, UN ESPOIR

« Ingkasi connaît un abri, nous mettons le cap vers un refuge. Nous écopons aussi vite que nous pouvons, à gros seaux pour ne pas sombrer. Evrard aperçoit un cairn. Nous sommes proches et bientôt à terre une bonne fois pour toute. Nous sauvons le maximum de nos vivres de ce dégâts des eaux. Peu après, notre linge sèche, ballottant par ce vent violent. Nous mangeons pour reprendre des forces et lisons sur les murs de la cabane les différents passages d’explorateurs. »

Laurent fait sécher les affaires rescapées à Denmark Ø après le coup de vent Le matériel antique de radio dans la cabane à Denmark Ø Laurent fait sécher les affaires rescapées à Denmark Ø après le coup de vent Le matériel antique de radio dans la cabane à Denmark Ø

« Plus tard, je décide de grimper sur la colline qui surplombe la petite maison. J’aperçois un bœuf musqué qui broute… Je capture cet instant rare. Il s’arrête, me regarde puis s’approche. Son regard menaçant m’hypnotise. Soudain, il tape la terre d’un coup de sabot puis me charge. Je hurle de surprise et de peur en détalant. Heureusement pour moi, il stoppe. Mon cœur bat très fort, j’ai les jambes qui flageolent. Je me sens vivant plus que jamais. Cette expédition s’annonce plus qu’intense… »

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