En quête du narval, animal mythique du Groenland

La recherche du cétacé est l’un des volets principaux de l’expédition Mission Scoresby. Cet animal mythique du Groenland est aussi bien mystérieux : nous savons peu de choses sur lui et aucune étude exhaustive permettant de connaître ses effectifs dans le monde n’a été réalisée. En plus d’être chassé, le narval doit s’adapter à un environnement en pleine mutation. Cette quête, racontée par Laurent Marie, est donc essentielle pour notre mission, afin que de préciser la répartition des groupes dans le fjord pour, à l’avenir, prendre d’éventuelles mesures de conservation. Mais de nouvelles difficultés se présentent à nous…

Comme toujours, les premiers narvals que nous voyons sont des narvals morts. Victimes de la chasse, pourtant très réglementée, ces cétacés ont peur de l’homme. Nous arrivons avec Evrard et Ingkasi dans un camp scientifique où les Inuits et des chercheurs du monde entier se retrouvent pour étudier les Narvals en leur posant des balises. Nous échangeons et obtenons différentes informations sur leurs déplacements.

Puis nous continuons notre route. Trois jours durant, nous tenterons de les apercevoir en circulant en kayak à l’intersection de plusieurs fjords, avec en renfort une équipe sur un promontoire pour les observer de loin. Les conditions sont excellentes. La mer est calme, il n’y a pas de vent. Seul l’écho des icebergs qui s’effrondrent résonne le long des falaises de plus de 1000 m de haut. La surface d’observation est immense, l’autre rive est à 7 km : imaginez….

Le corps s’adapte peu à peu à de longues attentes en kayak. Nous faisons des poses pour nous alimenter. Nous en profitons pour changer les équipes. Aurélie embarque pour croquer chaque instant, pas simple sur un kayak qui bouge. Matthieu, quant à lui, fait des images…

C’est une bonne occasion de faire connaissance et de vivre des moments privilégiés. Avec Aurélie, nous avons un peu la même approche. Se fondre dans les espaces, se faire oublier et surprendre, par exemple, un phoque barbu qui dérive sur un petit iceberg.

Avec Matthieu nous approchons de très près les icebergs, il capte mon ressenti, mes émotions à l’approche des géants. Avec Evrard, nous explorons les icebergs avec les moyens dont nous disposons : l’apnée, le kayak. Nous en profitions pour faire différentes photos qui témoigneront de la beauté de la côte Est du Groenland.

Les trois jours seront infructueux. Pas un passage, pas un souffle : rien. Des moteurs, au loin, sont peut-être responsables. Il nous reste encore pas mal de temps. Patience…

Philippe rejoint en kayak le deuxième point d'observation de Sydkap, un cap offrant un angle de vue très large. Philippe rejoint en kayak le deuxième point d’observation de Sydkap, un cap offrant un angle de vue très large.

CHANGEMENT DE CAMP

Nous décidons de changer d’endroit. Conseillés par Ingkasi, nous nous rendons à Sydcap, juste à l’entrée de Nordvestfjord. Un avion a repéré plusieurs groupes… Nous aménageons dans une maison utilisée par les chasseurs Inuits. Un poële permet à Philippe de nous concocter de grands repas.

Premier jour. Le vent souffle énormément, beaucoup trop pour faire du kayak.

Deuxième jour. Avec Aurélie et Matthieu, nous apercevons un phoque barbu dérivant sur une plaque de glace. Je laisse Aurélie faire une esquisse de l’animal de plus de 200 kg. Avec Matthieu, j’élabore une stratégie. Il filme de loin.

Je m’équipe, prépare le kayak et longe la côte pour ne pas éveiller les soupçons de l’animal endormi. De temps en temps, il lève la tête pour observer une éventuelle menace. Je glisse derrière un iceberg, je suis encore très loin. Je me mets à l’eau le plus discrètement possible. Je pousse mon kayak doucement, mon caisson dans l’autre main, prêt à immortaliser la scène.

Je me cache. Je me sens animal, prédateur. J’approche ma proie comme un chasseur. Je pense aux Inuits d’autrefois qui devaient, avec leur kayak et une lance, subvenir à leurs besoins. Je deviens Inuit, j’éprouve les sensations de « Nanuk l’esquimau ». J’observe les moindres mouvements de l’animal. Le vent me pousse vers lui.


Je ne pouvais pas l’approcher de face, il m’aurait vu de loin. Soudain, il sursaute : il vient de me sentir, je ressens maintenant ses sensations. Ce barbu me localise. Il n’y a plus que lui et moi. Lentement, je me rapproche, mètre par mètre. Il tourne sa tête pour me voir. L’animal est de moins en moins tranquille. J’ai peur qu’il disparaisse vers les abysses. Je ne me décourage pas, chaque coup de palmes est une réussite.

Je suis maintenant à trente mètres. Je respire le plus silencieusement possible, je n’émets aucune éclaboussure, aucun son. Mon coeur bat fort. Je sors ma tête de temps en temps derrière mon embarcation pour voir l’animal de plus en plus grand. Il est énorme, je vois ses moustaches toutes tordues. Vingt mètres, quinze, dix : il n’a toujours pas sauté. Je pousse mon kayak et décide de finir l’approche à la palme.

Il n’a plus aucune chance le voilà dans le viseur de ma caméra, j’appuie : il est dans ma cible, je l’immortalise. Neuf… Huit… Sept… Six… Cinq mètres : la bête est immense et ses poils sont complètement secs. Je l’entends respirer, il doit m’entendre aussi. Je suis tout proche, à portée de « tir » de cet animal traqué. Un dernier coup d’oeil, il ne m’avait pas imaginé aussi prêt. Il prend peur, je le vois se dandiner sur la glace puis sauter et s’effacer dans l’eau turbide.

Je plonge ma tête dans l’eau pour espérer l’entrevoir. Trop tard, il est déjà loin.

J’ai approché cet animal chassé depuis des centaines d’années de très près. Je l’ai senti, entendu, j’ai pris du temps pour l’observer. C’est une grande chance et je suis très heureux d’avoir exprimé mon instinct sauvage et animal. C’est peut-être aussi cela la magie de l’Arctique…

Je décide de cette occasion pour faire une reconnaissance du secteur et me familiariser avec cette environnement. En face, une île. De très gros icebergs se sont échoués sur son rivage. C’est magnifique.

Je me réfugie sur une plage à l’abri du vent pour observer et scruter chaque mouvement, chaque bruit « anormal » qui pourraient signaler la présence d’un animal. Le temps s’évapore, les effondrements d’icebergs, leurs craquements, leurs grondements rythment ma vie.

Ces vibrations résonnent en moi, elles font écho dans ma petite existence. Le vent me souffle les essences de myrtilles et de bruyères, je sens même l’odeur de la mer. Je me fonds dans les rochers pour me protéger de l’air. Je fais corps avec la roche en scrutant cet archipel merveilleux. Un rêve !


RIEN TOUJOURS RIEN

J’entends un moteur. Je vois Olivier, Ingkasi et Matthieu venir à ma rencontre. Ingkasi s’inquiète de ne pas avoir de nouvelles. Le vent est fort et pourtant, je me suis mis à l’abri. J’aurais dû prévenir que je resterai observer l’horizon.

Je n’ai plus aucune notion du temps. Depuis des jours maintenant, seule la lumière berce notre horloge biologique. Ingkasi est énervé. Il m’avait dit de rester sur la colline près de la maison. D’un autre côté, je suis content qu’Olivier et Matthieu puissent observer quelques minutes l’archipel.

C’est promis, je suivrai ses conseils. Alors, durant quelques jours une routine se met en place. Un réveil à 7h30, un petit déjeuner avec Evrard qui se lève tôt puis je m’équipe:

-Radio (batterie de rechange)
-Fusil et munitions (contre une éventuelle attaque d’ours)
-Jumelles
-Nourriture
-Vêtement chaud, contre la pluie.
-Équipement apnée, vidéo, photo
-Kayak

Nous avons déterminé deux points de vue. L’un proche de la maison, l’autre plus loin à une heure de marche ou vingt minutes en Kayak.

Je mets le kayak à l’eau et glisse vers l’immensité. Philippe et Matthieu me rejoignent. Nous nous positionnons, observons de longues heures, discutons, mangeons. Nous parlons de nos vies, nos motivations, nos objectifs et de nos passions. Les liens se créent.

Malgré nos observations constantes et régulières, nous ne voyons aucun souffle, aucun mouvement troubler la surface de l’eau. Seuls des phoques viennent de temps en temps percer à la surface. Et puis, parfois, nous voyons des narvals partout. Notre imagination nous joue des tours. A force de les espérer, nous les voyons partout.

Laurent, du promontoire qui surplomble la cabane de Sydkap, veille. Laurent, du promontoire qui surplombe la cabane de Sydkap, veille.

Comme des hallucinations, ces créatures se mêlent à nos rêves et se dessinent la nuit dans le ciel peuplé d’aurores boréales. Nous ne discernons plus la réalité : je me demande si cette licorne des mers n’est pas qu’une légende inventée par les Inuits.

Des heures durant, les reflets du soleil se déplacent seuls sur la mer comme un cadrant solaire. Les jours se mêlent et se ressemblent. Aurélie, Gaëlle, Olivier, Raphaël et Evrard viennent soutenir ce long affût, entre dix et douze heures par jour.

Le secret, c’est le silence et la patience. Personne ne va sur l’eau, le navire ne se déplace pas, le moteur pourrait faire fuir les narvals à des kilomètres. Pourtant rien. Ni le lendemain, ni le surlendemain. Puis le vent, ce maudit vent qui souffle fort, trop fort et vient troubler le plan d’eau. Des moutons apparaissent ! Comment voir des narvals au milieu de ce troupeau ?

« S’il te plait dessine moi un Narval mais pas des moutons ».

Je désespère. Apercevoir les narvals en vie, c’est aussi de la chance. Nous sommes pourtant au bon endroit au bon moment. Malheureusement, Ingkasi a des problèmes de moteur. Agacé, il s’exclame : « L’été est terminé, les Narvals sont déjà partis ». Cela ne nous aide pas beaucoup, surtout quand nous voyons les oiseaux faire leur migration.

La mer commence à moutonner à l'approche du coup de vent, ce qui rend ardue la recherche de signes de cétacés. La mer commence à moutonner à l’approche du coup de vent, ce qui rend ardue la recherche de signes de cétacés.

Evrard, Matthieu et moi décidons que les trois derniers jours nous embarquerons pour le fond du fjord où les narvals ont été aperçus en nombre. Je me raccroche à cette idée et pense que c’est notre dernière alternative.

Ingkasi quitte la maison pour le village afin de réparer son moteur :
« My motor is broken », dit-il. Nous le supplions : « Pas maintenant ! Please ». Le vent ne tombe pas, bien au contraire. Même pendant la nuit, pourtant plus calme. Des rafales accompagnées d’averses soufflent et balaient tout notre matériel.

Par chance, nous ne perdons rien. Evrard communique avec notre guide. Le mécanicien ne passe pas et le vent, toujours ce maudit vent, empêche Inkgasi de revenir pour nous emmener dans le fjord. Comment faire ? Trois.. Deux… Un jour : Ingkasi ne viendra pas ! Son navire est hors service : il enverra l’un de ses amis venir chercher l’équipe en deux temps. Notre retour sera l’occasion de voir de magnifiques icebergs. Déçus ? Non ! Nous étions au bon endroit, au bon moment. Il ne nous a pas manqué grand-chose.

L’objectif principal était pour moi de filmer les narvals. Pourtant, nous avons plongé dans le coeur du glacier. Peut-être pour mieux comprendre, mieux s’imprégner de cet environnement et surtout apprendre les techniques, le savoir et la patience des grands chasseurs Inuits.

Demain, nous combinerons différents atouts mélangeant la technologie, les données scientifiques, le travail d’équipe, la patience et la discrétion. Demain, nous serons plus forts, plus riches par l’apprentissage de nos différentes expériences. Nous réussirons.

Les narvals sont maintenant pour moi devenus une quête et je sais qu’un jour nous serons avec eux sous l’eau pour mieux les comprendre et nous témoignerons pour mieux les protéger.

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