Le Carnet d’Evrard #1

18/07/2016
Nous nous réveillons sous un soleil radieux au-dessus du village d’Ittoqqortoormitt. La vue plongeante sur le fjord avec quelques icebergs isolés est spectaculaire. Ittoqqortoormiit, situé au-delà de 71° degrés de latitude, est le village le plus septentrional de la côte est du Groenland. Au-dessus, rien que des fjords sauvages et quasi inaccessibles jusqu’à l’extrémité nord de l’île constituant le plus grand parc national du monde.

Nous avons malheureusement peu de temps pour contempler. Reste à régler quelques détails avant le départ du premier convoi de deux navettes qui doit permettre à une bonne partie de notre équipe de s’acheminer vers le Renland, une péninsule isolée au fond du fjord du Scoresby Sund où plusieurs de nos objectifs de recherche et d’exploration nous attendent.

Nous achetons notamment un dernier fusil – ce qui nous en fera quatre pour toute l’équipe. Cet arsenal ne sera pas de trop pour nous protéger (en dernier recours) contre une attaque d’ours polaire éventuelle, attaque hautement improbable mais toujours possible, notamment en cette période de l’année où les ours ne mangent plus à leur faim depuis déjà deux mois environ, les phoques ayant déserté les lieux.

Le matériel de génération d’énergie solaire offert gracieusement par notre partenaire Goal Zero n’étant malheureusement pas arrivé à temps en France pour pouvoir voyager avec nous, il a fallu acheter rapidement en Islande le minimum pour pouvoir faire fonctionner tous les capteurs sismiques, radars et autre matériel informatique et video nécessaires au bon déroulement de la mission. Mais à Ittoqqortoormiit, les craintes sont encore là, nous achetons donc une dernière batterie de voiture. Si l’on parvient à faire venir le matériel Goal Zero jusqu’à nous, ces batteries ne serviront à rien. Dans le cas contraire, elles sauveront la mission.

Sur le quai, tout le monde s’affaire et ce sont finalement six personnes qui embarquent à 15 heures à bord des deux petits bateaux à moteur avec nos deux pilotes/chasseurs inuits Karl et Ingkasi.
Eric, Ludovic et Agnès d’un côté, Philippe, Olivier et moi de l’autre.

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Le voyage est difficile à décrire. Les bateaux font des bonds sur les vagues au point de rendre l’expérience totalement désagréable. Mais le spectacle est d’une telle beauté que les râleries sont rapidement supplantées par une béatitude extrême, une véritable euphorie. Nous slalomons dans une mer d’icebergs tous plus biscornus, coloés et éphémères les uns que les autres. C’est un rêve de gamin qui prend vie.

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Quatre heures plus tard, nous repérons le lieu de campement de l’équipe qui débarquera mercredi sur le nord du Scoresby Sund, une zone de toundra gigantesque appelée Jameson Land. Il y a là, posée au bord de l’eau, une cabane en bois et un petit ruisseau. Bon choix !

La cavalcade continue entre géants de glace et nous traversons un petit fjord pour nous retrouver dans une crique abritée non loin de Sydkap. La, perdus au milieu de rien, cinq ou six bungalows sommaires sont installes. Une grande famille inuit y passe ses vacances. Ils pèchent, jouent et discutent. Des congélateurs sont posés sur la plage. Dans l’un d’eux, se trouve un ours polaire, du moins ce qu’il en reste. Ce dernier, un jeune mâle, a eu la mauvaise idée d’être attiré la veille par les odeurs de poisson du campement. Une fois dans le camp, les habitants n’ont pas eu d’autre choix que de l’abattre. Ils ont alors immédiatement appelé la police, ont dépecé l’animal et mis la peau à l’eau afin de la faire nettoyer par les poissons et de la livrer aux autorités. Interdiction de vendre la peau d’un animal protégé.

Je profite de l’aubaine pour prendre quelques échantillons pour une analyse ADN. C’était une attente d’un chercheur, la voilà comblée dès le premier jour. Lorsque je saisis la peau qui flotte à quelques mètres du rivage, celle-ci m’échappe des mains, c’est une véritable savonnette. Quelques centimètres de graisse rendent la préhension difficile. Je suis oblige de m’y prendre à plusieurs fois. Un bout couvert de poils finira tout de même dans un flacon avec du silicagel (a défaut d’alcool). Je soulève également une patte afin de prélever un morceau de griffe. La taille fait froid dans le dos.

Nous reprenons les bateaux pour un dernier tronçon et terminons le parcours vers le Skillebugt fjord, notre destination finale. Ce fjord est un cul-de-sac. Il mène à un des plus grands glaciers des environs, le glacier Edward Bailey qui nous intéresse à plus d’un titre. Et il mène aussi à une calotte glaciaire de près de 80 km de long, la calotte du Renland. Les eaux du fjord sont extrêmement calmes, un vrai miroir. Nous glissons à petite vitesse vers son extrémité. Mais les fonds justement sont trop hauts et le débarquement est délicat. Le bateau nous dépose donc à 22h sur une moraine plongeant dans le fjord.

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Nous remercions nos chauffeurs et les laissons repartir pour 5h de navigation en sens inverse. Puis nous entamons une série de portage jusqu’à un coin de bivouac convenable. Nous nous y installons vers 1h du matin, dînons et terminons cette longue journée par un apprentissage au tir au fusil. Finalement, nous nous installons dans nos duvets à 3h30 du matin.

Evrard Wendenbaum

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